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Le reportage de Jean-Philippe Robillard
Exclusif – Alors que la population du Québec vieillit et que le réseau public de la santé n’arrive plus à répondre à toutes les demandes de soutien à domicile, le secteur privé et les entreprises d’économie sociale prennent de plus en plus de place dans ce marché en pleine expansion, a constaté Radio-Canada.
Au cours des dernières années, au moins une centaine de nouvelles compagnies privées œuvrant dans le secteur des soins à domicile ont vu le jour au Québec.
C’est le cas de l’entreprise fondée par Olivier Champagne et son père Denis Champagne sur la Rive-Sud de Montréal.
Depuis qu’ils ont fondé leur entreprise, il y a un peu plus d’un an, leur chiffre d’affaires ne cesse de grimper. Pour Olivier Champagne, les changements démographiques et le contexte actuel dans le réseau de la santé avantagent les compagnies comme la sienne.
« Les coupures budgétaires favorisent une entreprise comme nous, la demande est très forte », a-t-il constaté.
« La population vieillit, ce sont des services qui sont de plus en plus en demande, appuie son père. Moins les CLSC offrent des services à la clientèle, c’est sûr que par ricochet, ça favorise notre entreprise à nous ».
Il estime lui aussi que le réseau public de la santé n’arrive plus à répondre adéquatement aux besoins des ainés, ce qui les amène à se tourner vers le secteur privé plutôt que d’attendre pour avoir accès à des services gratuits de leur CLSC.
Le responsable du développement des affaires à Soins à Domicile Montréal, Timothy Thomas, constate lui aussi que la situation dans les CLSC joue aussi en faveur de son entreprise.
« Dans les derniers quelques mois, le CLSC a coupé beaucoup de services et la demande a augmenté beaucoup, remarque-t-il. Les CLSC ont eu une restructuration. Avec ces changements-là, ils ont dû couper beaucoup d’heures qu’ils offrent aux personnes, mais aussi pour les nouveaux clients ou les ainés qui ont besoin de services ».
Une forte demande, un chiffre d’affaires en hausse
À l’Agence Continuum, qui compte 750 employés et qui est parmi les plus importantes au Québec, sa présidente Hélène Gravel remarque aussi que les besoins sont grands et que son chiffre d’affaires est en hausse.
« On a vu une progression qui est assez fulgurante. On remarque une augmentation énorme du nombre de demandes. Je peux vous dire que d’année en année, c’est une augmentation nette de 50 % », se réjouit-elle.
« On sait qu’il y a beaucoup de compressions budgétaires et que le réseau fait tout son possible, mais par exemple, si les gens ont le droit à un bain par semaine et qu’ils sont habitués à se laver tous les jours, et bien, c’est là qu’on va entrer en ligne de compte.
Un boom similaire chez les OSBL
Dans les entreprises d’économie sociale, des entreprises sans but lucratif (OSBL) bien présentes dans le réseau de la santé depuis une vingtaine d’années, on constate également un boom.
À la coop Aide Rive-Sud, le directrice de l’organisme, Céline D’amours, affirme que les demandes augmentent d’année en année.
« La demande est croissance. Nous, depuis les dernières années, on connaît des croissances annuelles de 10 % et même 40 % par année, remarque-t-elle. En 2009, on vendait à peu près 30 000 heures de services, puis l’an passé, ça a été presque 100 000 heures qu’on a vendues, principalement aux gens âgés ».
L’an dernier, les 102 entreprises d’économie sociale du Québec ont répondu aux besoins de 90 000 personnes, dont 10 000 avaient besoin de soins d’hygiène comme de l’aide aux bains. Au total, ce sont 7 millions d’heures de services qui ont été rendus.
La concurrence de plus en plus vive
La multiplication des acteurs dans le domaine des soins à domicile, afin de répondre à la demande croissante de services, s’est traduite par une concurrence plus vive que jamais.
Selon Marie-Claude Gasse, du Réseau des entreprises d’économie sociale en aide à domicile, la rivalité se fait surtout sentir dans les grandes villes, où la concurrence est beaucoup plus grande, des entreprises privées n’hésitant d’ailleurs pas à baisser leurs prix en conséquence.
« Souvent, le problème, c’est qu’ils vont diminuer les tarifs pour aller chercher le marché. On parle de millions d’heures de services, y a des millions de dollars aussi au bout, alors j’imagine que les entreprises ne cracheraient pas là-dessus », remarque Mme Gasse.
Olivier Champagne et son père Denis admettent d’ailleurs qu’ils ont dû baisser leurs prix tant la compétition est forte.
Québec prévoit injecter 20 millions
Québec a d’ailleurs pris acte de la nouvelle situation et, selon ce qu’a appris Radio-Canada, s’apprête à annoncer l’injection de près de 20 millions de dollars, d’ici 5 ans, afin de former 4500 nouveaux préposés dans les entreprises d’économie sociale, notamment pour l’aide aux bains, ce qui était presque exclusivement effectué par les CLSC jusqu’à présent.
Ces entreprises seraient par ailleurs aussi appelées à contribuer quelques millions de leurs poches pour ces formations, soit environ 20 % du total des sommes qui seront engagées.
Un premier groupe de formateurs doit offrir une formation de 125 heures prochainement.
Pour Marie-Claude Gasse, c’est un signal clair que ces OSBL sont appelées à jouer un plus grand rôle au cours des prochaines années auprès des personnes âgées.
Mais en laissant une plus grande place aux entreprises d’économie sociale tout comme au secteur privé dans les services de maintien à domicile, c’est non seulement les services offerts par le réseau de la santé qui sont en train de changer, mais également la qualité des emplois offerts, loin de ce que l’on retrouve dans le secteur public.
Et ce qui inquiète le plus les personnes âgées, c’est de savoir si elles auront encore les moyens de se payer certains services de soutien à domicile, dans quelques années, pour rester chez elles.
Le ministre Barrette optimiste, les syndicats inquiets
« Le besoin pour ce type de services là va aller en s’accentuant alors il est tout à fait normal de multiplier nos possibilités, a plaidé le ministre de la Santé, Gaétan Barrette. « S’il y a des gens qui sont disposés à donner des services de qualité équivalente – et parfois même meilleure – je ne vois pas pourquoi on n’empêcherait ça ».
Le vice-président à la Fédération de la santé et des services sociaux déplore pour sa part la tendance du gouvernement à faire des économies sur le dos des travailleurs,
« C’est toujours la question d’argent, a déploré Guy Laurion. Le gouvernement y voit un coût financier moindre compte tenu que les conditions de travail (et les) conditions salariales sont moindres » dans le privé.
Le ministre minimise cependant les craintes des syndicats : « L’objectif n’est pas de réduire les conditions de travail de qui que ce soit ».